Onze ans après son travail Paradis Terrestre - Intimidades, présenté lors de la Primavera Fotográfica de Barcelone en 2004, Karine Bossavy met de nouveau à nu le monde végétal, mais cette fois elle le fait sans retenue, parfois même crûment mais toujours de forme subtile, belle et élégante. Bossavy transfigure observateur et objet observé en établissant une symbiose permanente entre les deux ; les heures et les minutes commencent à s’écouler à un autre rythme pour le premier qui voit sa perception du temps altérée en se retrouvant entraîné dans une traversée hypnotique tout au long de la vie des plantes et de leur lente et inévitable évanouissement.
La photographe approche son objectif des pousses et des bourgeons en ignorant toute distance de sécurité entre elle-même et les tiges et les pétales qu’elle capture, plongeant en eux jusqu’à s’y perdre et emmenant avec elle le spectateur qui se sent également égaré dans l'exercice si audacieux de l'observation. Pareille proximité l'attrape et la simplicité, la fragilité et le mystère des images agissent comme un reflet vivant de leur propre vulnérabilité.
Et exactement comme la peintre nord-américaine Georgia O'Keeffe fit il y a un siècle avec le pinceau, Bossavy, avec son ardeur à scruter sans compassion branches, étamines et pistils, saisi/s’empare de leur âme végétale au point de pratiquement leur arracher leur condition existentielle pour les convertir en matière onirique, spectrale, dans un jeu de mouvement, de lumières, de couleurs et de textures qui brise la ligne entre le réel, l'imaginaire, la pensée,le souvenir, l’humain et le végétal.
Ce n’est pas en vain que dans ce travail le paradis n’est plus terrestre et les plantes nous sont montrées dans un espace qui semble éthéré où, à aucun moment, on en voit la base, les racines. Intimités II nous transmet le parfum de l’amaryllis dans toute sa splendeur mais aussi dans la douce puanteur de sa décrépitude desséchée; décadence végétale à la beauté blessante qui nous renvoi à l'humain, à notre faiblesse, à la défaillance de notre perception et de notre mémoire et à la fugacité de l'existence qui semble se projeter au-delà de son extinction.
Isabel Cadalso